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L'AMPHITRYON

L'amphitryon

Quel est-il ce sentiment ? Ah, oui, c’est vrai : la douleur. Le désespoir découle-t-il de la douleur ou bien est-ce l’inverse ? Pourquoi un pas devant l’autre peut faire aller de côté ? Je me sens à côté de moi ; si proche, pourtant inaccessible. L’être entier hurle, appelle, réclame. Je l’entends. Je l’entends si fort. Je n’arrive pas à le toucher. Comment décrire ça ? Il semble que l’esprit soit un réceptacle large et profond.

Je me demande si je suis un bon hôte. Certainement que non, car personne ne m’adresse la parole. Ils m’entourent, je le sais, je les ressens. Ils m’envoient leurs émotions et leurs souvenirs à la gueule, comme si je n’étais là que pour ça. Ils sont tous de dos, semblant fuir mon regard. Personne ne me parle. Personne ne me répond. Ils murmurent à voix basse, chacun, puis ensemble. Ça vibre dans mes oreilles. Parfois, ils haussent la voix, et je crois qu’ils m’adressent enfin la parole. Mais ils me restent indifférents. Que font-ils ici ? Pourquoi s’infliger ma présence s’ils la détestent à ce point ?

Hé ! Je suis l’hôte de la maison ! Hé, j’existe !

Les choses ont changé. À présent, mes invités me parlent. Ils ne me répondent pas, mais leurs mots semblent m’être destinés. Parfois, ils tirent sur mes bras pour me mener ailleurs. Je ne sais où ni pourquoi. Parfois, leurs émotions sont si fortes que j’ai mal à la tête et qu’il me semble porter le désespoir du plus malheureux des hommes. Je suis fatigué de mes invités, mais ils ne rentrent pas chez eux. Ils s’incrustent, s’accrochent, s’agrippent. Parfois, ils se lancent des défis : combien de personnes peuvent tenir sur son dos ? Que j’ai l’impression d’entendre. Je ne suis pas très fort, il en faut peu. La plupart du temps, ils m’épuisent, et ils semblent attendre un moment d’inattention pour me pousser et me faire mal. Sauf que je suis si somnolent que je ne discerne plus très bien la réalité ; il se peut qu’aucun de mes invités n’ait porté la main sur moi. Dans ces moments, je me demande même si j’ai vraiment des invités.

Nous cohabitons étrangement. Nous ne conversons toujours pas, mais il semble qu’ils n’ont jamais été aussi présents. C’est à un tel point que j’ai l’impression ne plus m’entendre penser, tant ils sont bruyants et envahissants. Je ne vois plus mon ombre. Je n’entends plus mes pas. À moins que… quelque chose résonne, tambourine. Je ne sais plus qui ils sont. Des invités ? Des parasites ? J’ai l’impression qu’ils sont moi, et que je ne suis pas moi ; je suis eux. Pas tout à fait là. Pas tout à fait absent. Je suis un piètre hôte. Un réceptacle large et profond qui met ses invités mal à l’aise. Un piètre hôte qui n’est même plus sûr d’être chez lui.

Quel est-il ce sentiment ? Ah, oui, c’est vrai : la douleur. Le désespoir découle-t-il de la douleur ou bien est-ce l’inverse ? Est-ce eux qui m’ont donné ces sentiments ? Est-ce que je ressens ce que je ressens ? La pièce est vide, grise, bancale. Mais ils sont là. Je suis si fatigué qu’ils me paraissent translucides, tels des fantômes. Les choses paraissent si claires à présent. Qu’est-ce que ça pouvait être d’autre ?

Ils ne sont pas dans ma tête, c’est évident. Pourtant, mes poings cognent à répétition comme pour les faire sortir. Ils parlent trop fort. Ils ressentent trop fort. Le sol se dérobe. Je glisse.

Hé ! J’étais l’hôte ! Hé ! J’existais !

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