LA VIE EST IMMENSE

La vie est immense. Il est dingue d’imaginer tous ces fils qui nous relient à des actions. Il est dingue d’imaginer ceux des autres. Nous sommes tout petits. Et nous sommes géants. L’impact que peut avoir un pas. L’impact que peut avoir un souffle. Ce qui peut rendre la vie petite, c’est de ne voir qu’un fil et d’oublier les autres. C’est de regarder sa main plutôt que ce qu’elle tient. Penser à l’air qu’on inspire et jamais à celui qu’on expire. Regarder la lune quand il y a des étoiles. Le soleil quand il y a des nuages. Regarder une cigarette se consumer, plutôt que la direction que prend la fumée qui s’en échappe. La vie est immense. Les possibilités de vie sont presque infinies. Si parfois notre regard manque de portée, tout paraît si petit. Les maux grandissent, les larmes obstruent notre vue. Le corps endoloris, on oublie que l’on avance, malgré notre lenteur. Il est parfois bon de se retourner. Si l’on a peur du chemin à parcourir, on peut regarder le chemin parcouru. Si le chemin à parcourir nous semble trop rude, on peut aussi changer de chemin. On avance. Et la vie est immense. Il serait bon de comprendre que l’on n’a pas à se battre contre l’obscurité. Mais alors, pourquoi je traîne mon corps ? Mes bras me semblent si faibles pour le porter et le tirer vers l’avant. Plus je force, plus le brouillard me fait oublier comme la vie est immense. Je regarde les oiseaux et je souhaite être à leur place. Je regarde la rivière et je veux qu’elle m’emporte là où elle veut. Là où elle peut. Les fils qui me relient à la vie ne sont pas tendus. Ils tremblent et s’affinent. Je les vois tous et je me perds. J’ai peur qu’ils se brisent. Qu’ils se déchirent. Qu’ils s’effacent. J’ai si peur que je n’ose en tenir un. Ils ont l’air si fragile. Je jalouse les fils autres. Je regarde les fils robustes et épais des autres. Et je me renferme sur moi-même en expliquant au monde qu’il faut regarder au-delà de soi. Je me fais petit. Je m’entasse. J’espère intérieurement que quelqu’un remplace mes fils, ou bien me porte quelques mètres. Car je sais que la vie est immense. Ça ne me fait pas peur qu’elle le soit. J’aimerais simplement en faire partie. Mais je regarde mes fils et je n’y touche pas. Je m’ankylose. Je m’affaisse. Bon sang, ce que je perds comme temps à avoir peur. Je laisse la douleur s’emparer de moi, de mes envies, de mes besoins. Quand je regarde l’horizon ce n’est plus pour voir la beauté du monde, c’est pour ne plus me voir moi, m’oublier, me laisser disparaître. Bon sang, ce que je perds comme temps à me morfondre. Mes joues sont abîmées par les larmes. Elles ont fini par y former des cratères, ne se laissant à elles-mêmes que des routes sinueuses, impraticables. Bon sang, ce que je perds comme temps à écrire ma souffrance. Pourtant, la vie est immense. Il suffirait que je choisisse un fil. Il suffirait que je regarde les étoiles plutôt que la lune, les nuages plutôt que le soleil. Simplement regarder la direction que prend la fumée de la cigarette qui se consume, et la suivre, ensuite, qui sait, je verrai peut-être le vent emporter un tas de feuilles et me montrer une autre direction. Un papillon se poserait sur mon nez, une seconde, puis s’envolerait et me montrerait à qu’elle point la vie est immense, si seulement j’ose le suivre du regard. Et la lumière écraserait l’obscurité. Pourquoi ai-je cette impression de ne pouvoir suivre aucun chemin si l’on ne me tient pas la main ? Et si j’ai vraiment besoin d’une main, pourquoi je ne la demande pas ? Bon sang, quel temps je perds à n’oser demander de l’aide. Les fils sont juste là. Je ne peux me laisser m’enfoncer plus longtemps. Si la vie est immense, je mérite bien ma place quelque part. Et si j’arrive à me voir, les autres me verront aussi. Et si j’arrive à me toucher, les autres pourront aussi me toucher. Je suis vivant, je suis bien là, je suis réel. Je suis vivant, je suis bien là, je suis réel. Je suis vivant, je suis bien là, je suis réel. Je suis vivant, je suis bien là, je suis réel. Je suis vivant, je suis bien là, je suis réel…