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CROCODILE

Crocodile

La pluie a percé l’azur en cette soirée de splendeur. Les arbres ouvrent leurs branches et lui son regard. Comme tu as dû souffrir. Comme tu as dû espérer. Tu étais là, fait de roc et d’ardeur, tentant un sourire, tentant de choper une bouffée d’air. Je ferme les yeux et te vois dans ce fauteuil, dans cette cuisine, cherchant comment ne plus avoir mal. Tu t’es pris la douleur, la solitude et l’enfermement sur la tête, sans rien pouvoir faire. Il n’y a plus de musique le matin pour me réveiller dans les couleurs. Je n’ai personne à qui dire bonne nuit alors qu’il est déjà si tard. Nous n’avons pas pu faire cette partie de scrabble, et ça tourne dans ma tête et ça tourne. Tu as regardé l’horizon, sans même pouvoir te rendre compte à quel point il t’était proche. Personne ne pouvait s’en rendre compte. Et regard droit tu as enduré. Tu manques ici. Comme tu as dû souffrir. Comme tu as dû avoir peur. Comme une sensation de tomber au ralenti, sans rien pour se rattraper. Je me souviens de la rage quand j’ai su. Je me souviens de cette lourdeur dans mon cœur. Je me souviens de ton regard avant la fin. Quand j’ai vu que tu avais compris. Je me souviens m’être sentie coupable. Je ne suis pas venue car je ne m’en suis pas sentie capable, ce jour-là ils t’ont endormi. Je me suis rassurée un temps en me disant que tu ne souhaitais pas qu’on te voit comme ça. Je ne me rassure plus. Je devais te dire au revoir. Je ne l’ai pas fait. Je me souviens de cette sensation quand j’ai serré ta main figée. Tu voulais te réveiller. Je l’ai senti. tu as combattu longtemps, et bravement. J’aurai aimé que tu gagnes. Tu manques ici. Je me souviens ce jour où nous avons dit au revoir à ton corps. Je me souviens des larmes. Je me souviens des discours ridicules et déplacés. J’ai tant pleuré de colère pour la cérémonie. Puis je t’ai pleuré toi. La main tremblante, posée sur ton cercueil. Tu étais dans cette boîte. J’ai presque espéré que tu poses la main de l’autre côté du couvercle, qu’on se dise au revoir, vraiment. Je me souviens de la chaleur. Je me souviens des faux. Je me souviens des vrais. Je me souviens que j’aurais voulu être là lorsque tes cendres ont été jetées. Que j’aurais peut-être vu ton âme se libérer, et aurais été rassurée. La douleur, le regret, la colère. Tu laisses malgré toi beaucoup de choses ici. Mais tu laisses aussi la bienveillance, l’humour, le goût pour la musique et la cuisine, tu laisses le souvenir de quelqu’un qu’on a aimé. On aurait voulu que tu sois là plus longtemps. Tu méritais de vivre, d’être heureux. C’est injuste. Je gère ça mal. Je ne le gère pas vraiment. Et je m’en veux. J’aurais aimé être robuste pour ta mère qui l’a tant été pour toi. Mais je ne sais que m’isoler, et avoir mal. Qu’être dans mon monde. Sans jamais y laisser rentrer personne. Ce serait peut-être plus simple pourtant. Ton absence est présente, comme la sensation d’un couteau planté dans la chair. Il y a des moments comme ça dans la vie où l’on voudrait dire au cerveau de faire comme si de rien n’était. Comme si ce n’était pas vrai. Supprimer l’information du cerveau. Concentrer son attention sur autre chose. Je ne veux pas que tu sois mort. Ça fait mal. Tu avais trop de choses à faire encore, trop de choses à vivre. À peine le temps de comprendre que tu étais malade et tu as disparu. Pourquoi est-elle si cruelle ? Elle parvient à nous faire espérer quelque chose malgré nous, et nous balance le tout à la gueule au moment où on s’y attend le moins, lorsque l’on est le moins sur nos gardes. On aurait presque pu oublier un instant que c’était mortelle. La vie est salope. Du bout de mes doigts, en ce minuit où la flotte bat les fenêtres, je tape ces quelques mots, ces quelques phrases. J’extériorise enfin. J’ai presque cru que j’extérioriserai tout haut, du fait de ne quasiment plus écrire. Mais on ne se refait pas.

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